Mémoire sur le Projet de Loi n°79 – Loi édictant la Loi sur les contrats des organismes municipaux et modifiant diverses dispositions principalement aux fins d’allègement du fardeau administratif des organismes municipaux
Mémoire de l’Institut AdapT et du CERIEC.
Introduction
C’est avec intérêt pour le projet de loi n° 79, Loi édictant la Loi sur les contrats des organismes municipaux et modifiant diverses dispositions principalement aux fins d’allègement du fardeau administratif des organismes municipaux (PL-79), que l’Institut AdapT et le CERIEC transmettent le présent mémoire.
Nous accueillons favorablement les mesures visant à simplifier les procédures administratives pour les municipalités. Toutefois, dans un contexte marqué par l’intensification des événements climatiques extrêmes et leurs conséquences sur les infrastructures publiques, il faut souligner la nécessité d’intégrer des mesures favorisant la résilience et l’adaptation aux changements climatiques, ainsi que la transition vers l’économie circulaire afin de réduire ces impacts dans le futur. Les récents événements ont mis en évidence la vulnérabilité de nos communautés et la nécessité d’agir rapidement. Bien que les modes collaboratifs soient encore émergents, ils offrent une voie prometteuse pour accélérer la mise en œuvre de projets de circularité et de résilience et renforcer la protection des citoyens.
Principalement axé sur la simplification des contrats des organismes municipaux, le projet de loi n° 79 offre un cadre intéressant pour intégrer des considérations liées à l’innovation, à la circularité et à la résilience climatique. En modifiant les modalités contractuelles et de passation des marchés publics, il est possible d’inciter les municipalités à adopter des pratiques circulaires et à favoriser l’émergence de solutions novatrices.
Le projet de loi n° 79 représente ainsi une occasion de transformer la gestion contractuelle des municipalités. En intégrant des critères d’évaluation spécifiques à l’innovation, à la circularité et à la résilience climatique, les appels d’offres municipaux peuvent devenir un levier puissant pour encourager le développement de solutions à plus faible empreinte environnementale et adaptées aux défis environnementaux. En privilégiant des projets qui réduisent leur empreinte carbone et leur intensité matérielle, adoptent des stratégies de circularité, utilisent des matériaux à plus faible empreinte environnementale, créent des emplois locaux et améliorent la qualité de vie, les municipalités renforcent leur résilience, réduisent leurs coûts à long terme et contribuent à la transition vers une économie circulaire.
Il serait d’ailleurs judicieux que la détermination des besoins, au cœur de toute procédure de passation de marchés, s’inscrive dans une perspective de développement durable, conformément aux exigences de la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP)1. Cette évaluation doit prendre en compte les enjeux environnementaux, sociaux et économiques, et s’appuyer sur des données probantes.
En outre, il convient de rappeler que la LCOP prévoit un pouvoir d’exception permettant au gouvernement, dans certaines circonstances, de déroger aux normes prévues par la loi. Ce même principe pourrait être étendu au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) afin de permettre une plus grande flexibilité dans la gestion de situations exceptionnelles, telles que les catastrophes naturelles.
Nous reconnaissons que la transition vers une économie plus résiliente et circulaire nécessite un accompagnement adapté aux réalités spécifiques de chaque municipalité. Il est essentiel de mettre en place des mécanismes de soutien pour favoriser l’émergence d’écosystèmes locaux d’innovation et de résilience. Le milieu académique, fort de ses expertises, constituera un partenaire privilégié dans cette démarche.
En somme, les modifications proposées dans ce mémoire visent à renforcer l’intégration des enjeux de circularité et de résilience climatique dans les procédures de passation de marchés publics, tout en assurant une flexibilité suffisante pour permettre aux municipalités de répondre efficacement aux défis auxquels elles sont confrontées.
1. Introduire les notions d’innovation, de circularité et de résilience
Le projet de loi n° 79 ne mentionne pas explicitement les termes « innovation », « économie circulaire » et « résilience climatique », mais il offre un cadre propice à leur intégration. Les notions de « d’infrastructure résiliente et circulaire » et de « solution innovante » devraient faire partie des principes directeurs énumérés à l’article 1 du projet de loi. De la même façon que le Projet de loi n° 12 (Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics) accordait une place importante aux notions de développement durable et de changement climatique, le projet de loi n° 79 devrait guider les organismes municipaux vers des infrastructures plus circulaires, résilientes et adaptées aux défis climatiques.
Les critères de sélection des projets pourraient ainsi inclure des éléments tels que l’adoption de stratégies d’économie circulaire, l’efficacité énergétique, l’intégration de technologies vertes, et la capacité des entreprises à démontrer leur expertise en matière de résilience et de circularité.
Dans le même esprit, l’article 8 devrait être modifié pour imposer la prise en compte des critères de circularité et d’adaptation aux changements climatiques dans l’élaboration de tout règlement de gestion contractuelle par un organisme municipal.
2. Plus de flexibilités aux organismes municipaux pour tenir compte des changements climatiques
Il est proposé de modifier l’article 14 afin de renforcer le rôle des marchés publics comme levier d’action en matière de lutte contre les changements climatiques et d’accorder aux municipalités une plus grande marge de manœuvre pour adapter leurs processus d’approvisionnement. Les travaux de réduction de l’empreinte environnementale et d’adaptation aux changements climatiques englobent généralement l’amélioration du rendement énergétique d’équipements ou d’infrastructures, mais ne s’y restreignent pas. Alors que les améliorations touchant l’efficacité énergétique et les économies qui en découlent sont facilement quantifiables, il n’en va pas de même de plusieurs stratégies de circularité et de l’adaptation aux changements climatiques dans son sens large. Afin d’élargir la portée de cet article et d’offrir plus de flexibilité aux municipalités, nous recommandons donc de modifier l’article 14 afin de retirer la dernière partie du 2e alinéa concernant le coût des améliorations par rapport aux économies réalisées.
Un organisme municipal peut donner le mandat à l’Union des municipalités du Québec ou à la Fédération québécoise des municipalités locales et régionales (FQM) d’attribuer un contrat.
Lorsque le mandat a pour objet l’amélioration du rendement énergétique et de la circularité d’équipements ou d’infrastructures et l’adaptation de celles-ci aux changements climatiques, le contrat peut comprendre le financement, par l’entreprise ou par une tierce partie, des biens, des travaux ou des services requis,
à la condition que le montant total que l’organisme municipal s’engage à payer pour cette amélioration n’excède pas celui des économies qu’elle réalise grâce à celle-ci.Pour l’application des dispositions du présent titre, le montant total des dépenses de toutes les parties au contrat constitue la dépense du contrat et le règlement sur la gestion contractuelle applicable est celui du mandataire.
3. Ajouter une section sur les processus d’acquisition responsable
À l’instar de la Section V du Chapitre II de la LCOP qui prévoit des dispositions sur le développement durable dans le processus d’attribution des contrats des organismes publics, nous croyons que le PL-792 devrait prévoir une section exigeant l’intégration d’au moins une condition relative au caractère responsable de l’acquisition, en spécifiant les aspects d’adaptation, de résilience et de circularité.
4. Stimuler l’innovation et accroitre le nombre de soumissionnaires
Il est primordial d’encourager les entreprises à proposer des solutions innovantes et à faible impact environnemental. Le versement d’indemnités aux soumissionnaires conformes qui n’obtiennent pas le contrat peut stimuler l’innovation et la créativité dans les offres et propositions qui sont soumises. Le projet de loi prévoit actuellement cette possibilité, mais uniquement avec l’autorisation du ministre. Nous recommandons donc de modifier l’article 60 du PL-79 pour permettre à un organisme municipal de prévoir le versement de telles indemnités sans devoir recourir à une autorisation ministérielle.
5. Favoriser l’innovation par le biais de concours et de nouvelles pratiques
Le projet de loi n° 79 ouvre aussi la voie à de nouvelles pratiques d’adjudication. Or, les articles 40.1 à 40,7 du Règlement sur certains contrats de service des organismes publics (RCSOP) proposent des mécanismes encore plus souples, permettant d’évaluer la qualité des soumissions avant de considérer le prix. Ces procédures, en offrant une plus grande marge de manœuvre aux municipalités, faciliteraient l’intégration de critères environnementaux et d’innovation dans les contrats publics. Ainsi, nous suggérons d’étendre l’utilisation de ces procédures pour favoriser le développement de solutions circulaires et adaptées aux enjeux climatiques.
Nous proposons aussi d’aller encore plus loin en institutionnalisant les concours d’innovation dès la phase de conception des projets. Ces concours permettraient de susciter une émulation créative et de mobiliser l’expertise d’un large éventail d’acteurs. En couplant ces concours à des procédures d’adjudication axées sur la qualité, cela permettrait d’ajouter des critères d’innovation et d’adaptation des infrastructures publiques face aux changements climatiques.
6. Revoir la composition des comités de sélection
Compte tenu de l’importance des enjeux climatiques et de circularité, nous proposons de renforcer les comités de sélection par l’ajout d’un expert de ces questions. Nous sommes conscients que la composition des comités de sélection représente déjà un enjeu pour plusieurs municipalités, particulièrement pour les plus petites. Pour remédier à cette difficulté tout en renforçant l’expertise, une banque d’experts pourrait être constituée avec l’aide du ministère, de l’UMQ, de la FQM, des établissements universitaires et autres organismes ayant une expertise dans le domaine de l’adaptation aux changements climatiques et de l’économie circulaire.
L’article 54 pourrait ainsi être modifié :
54. Un comité de sélection composé d’au moins trois membres qui ne sont pas membres du conseil de l’organisme municipal est formé pour l’évaluation des soumissions. Au moins un membre du comité doit être un chercheur ou une personne possédant une expertise reconnue en matière d’adaptation des infrastructures aux changements climatiques et/ou d’évaluation des impacts environnementaux et de la circularité. Le comité est accompagné d’un secrétaire, qui en coordonne les travaux.
7. Attribution de contrats : Permettre une plus grande agilité en cas d’urgence
L’article 33 du projet de loi n° 79 offre une flexibilité bienvenue en matière d’attribution de contrats en cas d’urgence. Nous estimons qu’il serait pertinent d’y inclure expressément la notion « d’événements climatiques extrêmes », qui constituent aujourd’hui une menace réelle et récurrente pour la sécurité des personnes et des biens. Cette modification permettrait aux municipalités de mieux répondre aux défis liés aux changements climatiques et d’assurer une protection adéquate de leurs citoyens.
Malgré les articles 29 et 30, un contrat peut être attribué sur invitation écrite ou de gré à gré dans l’un ou l’autre des cas suivants : 1° lorsqu’en raison d’une situation d’urgence, notamment d’événements climatiques extrêmes, la sécurité des personnes ou des biens est en cause ;
Conclusion
Le projet de loi n° 79 constitue une première étape importante. Cependant, pour assurer un avenir durable et résilient, il est indispensable d’intégrer l’économie circulaire et l’adaptation climatique au cœur de toutes les politiques publiques. En faisant de ces enjeux une priorité, en soutenant l’innovation et en renforçant la collaboration entre les différents acteurs, le Québec pourra relever les défis liés aux changements climatiques et bâtir des villes plus résilientes et circulaires. Cela permettra non seulement de protéger les investissements publics, mais aussi d’améliorer la qualité de vie des Québécois et Québécoises.
À propos de nos organisations
L’Institut AdapT a pour mission de favoriser l’étude, le développement et la mise en œuvre de technologies et pratiques de pointe pour la conception et la construction d’infrastructures résilientes. Plus de 200 chercheurs, issus de tous les domaines, dont notamment de l’ingénierie, de la gestion et des sciences humaines œuvrent à développer des solutions innovantes qui permettront de construire autrement des infrastructures plus adaptées aux nouvelles conditions climatiques, tout en réduisant leur empreinte environnementale par la transition vers une économie circulaire.
Le CERIEC (Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire), basé à l’École de technologie supérieure (ÉTS) a pour mission de contribuer au façonnement et au déploiement de l’économie circulaire par un programme de recherche scientifique interdisciplinaire de pointe et par des initiatives de formation, dialogue, valorisation et transfert destinées à maximiser les retombées pour les acteurs économiques, les gouvernements et la société civile. Le CERIEC coordonne, entre autres, un écosystème de laboratoires d’accélération en économie circulaire. Le premier laboratoire, déployé depuis 2021, porte précisément sur le secteur de la construction. Il a mobilisé plus de 300 acteurs et a donné lieu à 19 projets d’expérimentation.
Synthèse des recommandations
- AdapT et le CERIEC proposent l’ajout d’une section sur les processus d’acquisition responsable
- AdapT et le CERIEC proposent de renforcer le rôle des marchés publics comme levier d’action en matière de lutte contre les changements climatiques et de développement de l’économie circulaire
- AdapT et le CERIEC proposent l’ajout d’une section sur les processus d’acquisition responsable
- AdapT et le CERIEC proposent un mécanisme afin d’accroitre le nombre de soumissionnaires tout en encourageant les solutions innovantes et à faible impact environnemental
- AdapT et le CERIEC proposent l’ajout de nouvelles pratiques d’adjudication et de concours d’innovation dès la phase de conception au profit de projets plus innovants, circulaires et adaptés aux changements climatiques
- AdapT et le CERIEC proposent de revoir la composition des comités de sélection permettant l’accès à une expertise dans le domaine de l’adaptation aux changements climatiques et des enjeux environnementaux
- AdapT et le CERIEC proposent d’inclure la notion d’événements climatiques extrêmes dans la formulation de l’article 33
- Art.14.6. LCOP : « Préalablement au processus d’adjudication ou d’attribution d’un contrat, un organisme public doit procéder à une évaluation des besoins qui s’inscrit dans la recherche d’un développement durable. Un organisme public assujetti à la Loi sur le développement durable (chapitre D-8.1.1) doit plus particulièrement tenir compte des orientations gouvernementales en matière de développement durable, en plus des objectifs particuliers qu’il s’est fixé en application de cette loi et de ceux déterminés par le gouvernement dans la stratégie de développement durable adoptée en vertu de celle-ci. » ↩︎
- Art. 72 PL79 : « 72. Un contrat de partenariat peut, avec l’autorisation du ministre et aux conditions qu’il détermine, être attribué conformément à la présente section. » ↩︎